Andra Mari, Galatakao, Pays Basque
#2 février 2024, Andra Mari, Galatakao, Pays Basque
Je décide vers 5h du matin, alors que je n’avais pas très envie de dormir, de réserver pour Andra Mari, un restaurant 1* proposant une cuisine traditionnelle.
C’est dans un village à côté de Bilbao, l’heure est nuageuse, et des petites gouttes perlent sur le pare-brise de la voiture. Le paysage reste toujours aussi beau, la végétation est luxuriante en plein hiver et le territoire préservé comme un secret centenaire.
Je remonte une pente, avant d’arriver au restaurant, et je vois des écoliers la descendre. Je pense à l’oeuvre Kids on the Slope. Le lieu est calme.
Je me gare et je vois le restaurant, qui est au rez-de-chaussée d’ne sorte de chalet (baserri). Je descends lentement les marches qui me mènent à l’entrée. Le silence de la brume Atlantique est remplacé par les odeurs qui viennent me surprendre, avec les clics-clacs émanants d’une cuisine au labeur. Je prends le temps de profiter de ce ballet pour mes sens, et je rentre.
Je pousse une porte en bois, je ne sais même pas si c’est le bon endroit. Je rentre, et je vois une femme habillée dans ce que je vais appeler un habit traditionnel qui me salue franchement alors qu’elle est en train d’ouvrir une bouteille de vin sans aucun effort.
On m’installe. La salle est rustique, il n’y a pas réellement d’effort qui a été fait sur le décor depuis les années 70. On me met dans un coin qui préside, je vois toute la salle. Je suis collé à une baie vitrée qui donne sur la vallée. Le maître d’hôtel me donne le menu.
Je prends le menu dégustation et je demande de rajouter les St-Jacques qui me font de l’oeil, avec du cou de porc confit. Il acquiesce. Je demande s’il y a un accord mets et vins, il me dit non, puis propose de le faire lui-même. Il me demande : 2 verres ? Je réponds : 4, et que je lui fais confiance.
La serveuse qui s’occupera de moi pendant toute la durée du repas ne parle pas un traître mot de français ou d’anglais, elle aura expliqué tous les plats du menu en espagnol, et à chaque fois, j’écoutais avec attention, et j’acquiesçais avec sérieux et considération sans pourtant comprendre grand chose.
Le repas commence.
Les petits fours arrivent. Je ne comprends pas vraiment ce qu’il y a dedans. J’observe juste que tout est maîtrisé. Les températures, les textures, le jeu des goûts, certains arrivent vite, d’autres mettent plus de temps à se présenter. Je sais que les personnes qui cuisinent sont passionnées.
Premier vin, un Txakoli délicieux, savoureux et à la fois sec et fruité. Le beurre arrive et est jaune comme une brique de Lego. On me dit qu’il vient de la vache se trouvant dans le contre-bas de la vallée. Je tends la tête, et je vois des vaches. Je goûte alors le beurre, que je n’aime pas d’habitude, et je peux presque ressentir l’écho des vers qui ont nourri la terre depuis laquelle la vache a mangé de l’herbe. Ça doit être ça, le produit local, et la beauté d’un terroir. Je comprends à ce moment que la cuisine technique gastronomique, comme un trois étoiles, n’a plus vraiment d’intérêt à part sinon l’intellectuel. Ici, mes sens étaient bousculés par ces aliments simples, mais qui ont des goûts franchement différents, et d’une qualité difficile à décrire. On sent qu’ils sont entiers.
Arrive le tartare de boeuf, sur lequel est posé un gros câpre. Tout danse de manière fluide, la tiédeur du tartare est parfaite, et le peu de piquillos hachés viennent prévenir tout sentiment de trop.
Vient un oeuf cuit à basse température, semble-t-il un standard des menus ici, comme partout. Sa chaleur est parfaite, et les petits légumes qui l’entourent sont riches de saveur et cuits sans faute. Je parle de petits légumes d’automne comme la fleur de broccoli, le maïs, et le champignon. La texture de l’oeuf est magique. Il est soyeux comme le drap partagé avec la personne aimée, son goût est profond et dense comme la forêt qui entoure le restaurant.
La symphonie débute donc sans faute.
Vient alors un poireau cuit à la braise, avec une mousse épaisse de jaune d’oeuf, et quelques oeufs de truite. Ce plat me permet de mieux comprendre le poireau. Derrière les marques du feu, je vois l’essence de ce fruit de la terre. Les oeufs de truite contrastent avec la richesse du jaune d’oeuf.
Ensuite, un poivron fourré avec du cabillaud et des crevettes. Ce plat typiquement basque est exécuté ici sans aucune dérive. On a le goût du poivron, et le goût de la mer, et ils se marient sans effort, comme l’évidence d’un coup de foudre.
J’oublie de mentionner la qualité du pain. C’est la première fois depuis mon arrivée que je mange un pain au levain digne de ce nom, c’est à dire digne d’une attente parisienne de niveau de pain, peut-être la plus élevée (et snob) du monde. C’est nécessaire de noter ce point tant la qualité est généralement basse ici.
Je reçois ensuite mon ajout, deux petites noix de Saint-Jacques avec du porc, une réduction à la carotte, et une émulsion acide. C’est parfait. La Saint-Jacques est cuite à la perfection, comme savent si bien faire les basques. La surface est croutée et sèche alors que le coeur est moelleux et tiède, juste cuit afin que le couteau tranche sans effort.
Le maître d’hotel à ce moment m’apporte le menu imprimé. Je me dois de noter la gentillesse de la serveuse. Une politesse et un égard envers moi qui me fait sentir comme un invité dans sa maison.
On continue avec un calamar farci et son encre. La cuisson à la braise est encore une fois la clé qui permet de goûter le plat à une température et une texture qui sont parfaites. Je ferme les yeux, et je comprends comment le calamar doit être dégusté. Je constate un goût de thym dans la farce qui est parfaitement à propos. À côté, un petit morceau de calamar frit contribue à cette danse de textures. Je ne mentionne pas l’encre, qui est un mets exceptionnel en soi.
Viens le poisson du marché, un maigre peut-être, dont la cuisson et le goût indiquent sans peine sa fraîcheur. Il est accompagné d’un jus bien corsé à l’oignon rouge, quintessence de l’umami, presque fermenté, avec des petits pétales qui sont pickled. Tel un acteur, cette sauce s’adapte à chaque bouchée, tantôt tirant sur la douceur de l’oignon rouge, tantôt sur la profondeur de la réduction. Un sortilège, si vous le voulez bien.
Pour finir le salé, je reçois un plat avec un filet de boeuf, une myriade de poivrons arc-en-ciel, et une crème à la pomme de terre. Les mariages sont parfaits. Cette pomme de terre est en fait une sorte d’excuse, un véhicule pour le lait ou le beurre, qui doivent composer plus la majorité de sa consistence. C’est vraiment une crème de pomme de terre encore plus riche que la purée de Robuchon. Le mariage entre le lait et la viande est évidemment magique.
Le premier dessert arrive, et c’est une polenta couverte par une mousse de lait sucré. Je plonge ma cuillère et je suis ravi de découvrir encore plus de couches de saveurs : un maïs déshydraté présent pour sa texture et son sucre, un goût de cannelle qui vient arrondir la richesse en appelant mon esprit à le contempler, et du zeste de citron vert essentiel pour parfaire ce plat d’un équilibre total. Splendide.
Deuxième et dernier dessert, un gâteau au chocolat cuit je pense au bain-marie, tant sa texture est légère et délicate. Il est venu avec une glace au cacao. Brutale, elle ne demande pas mon avis. Le chocolat choisi pour ce dessert est d’une haute qualité, et la beauté de ce dessert au chocolat dans ce chalet à la campagne après ce grand repas m’émeut, alors que le vin accompagne mon ivresse.
Je bois un café, salue l’équipe, et je m’en vais, l’esprit riche de ces goûts, le coeur riche de souvenir, et la peau du ventre bien tendue. Comme quoi, la vie peut être belle et ne pas poser de questions, ne serait-ce que le temps d’un repas, suspendu dans la brume Atlantique et les pins basques.